La saison n’est plus à la rigolade. Vous vous rappelez quand vous vous demandiez ce que vous auriez fait à l’époque de la ségrégation, de la Seconde Guerre mondiale ou autres ? Vous êtes en plein dedans et il faut prendre position. Et là, des voix dissonantes s’élèvent : « oui, mais les artistes, ils sont là pour nous divertir, pas pour nous parler politique ». Et si on réfléchissait un peu sur ce sujet ?
Et si tout était politique ?
Oups, je rentre directement dans le gros vif du sujet. Dans la vie, tout, absolument tout, est politique. Vos choix de consommation, vos votes, vos blagues, vos discussions avec vos voisins… Car oui, chaque action que vous effectuez a des conséquences, ça c’est du niveau de l’école maternelle, vous devez l’avoir retenu maintenant. Et quand on dit « chaque action », on ne plaisantait pas. Or, décider de consommer moins de viande, ça envoie un message. Décider d’acheter des vêtements sur Shein aussi. Ce n’est juste pas tout à fait le même.
Or, comme j’aime bien faire la leçon, rappelons-nous le sens originel de politique :
« Qui a rapport à la société organisée »
Vous vivez dans la société ? Vos actes l’influencent ? Vous faites de la politique.
Donc, en tant qu’artiste (ou en tant que personne), décider de ne pas prendre position, c’est aussi une position politique (en l’occurrence, celle du plus fort du moment, mais on y reviendra).
On ne peut pas faire tout le temps de la politique
Je vous entends quand vous dites que l’on ne peut pas tout le temps réfléchir à chacune de ses actions, qu’il faut juste vivre parfois. Et oui, heureusement, c’est très bien aussi. C’est épuisant de tenir compte à chaque instant des impacts de tout (il y a un épisode très bien de The Good Place où on nous explique que même en tentant de faire le bien en permanence, au final, c’est impossible).
Mais entre « ne pas y penser en permanence » et « s’en moquer complétement et laisser les autres décider à notre place », il y a quand même une différence, non ?
C’est pour ça aussi que j’ai un peu de mal à comprendre que l’on ne vote pas. Mais c’est un sujet, pour le coup, qui est beaucoup plus concrètement… politique.
Je voudrais juste prendre le temps de rappeler cette citation du pasteur Martin Niemöller (1892–1984)
Quand les nazis sont venus chercher les communistes, je n’ai rien dit, je n’étais pas communiste.
Quand ils ont enfermé les sociaux-démocrates, je n’ai rien dit, je n’étais pas social-démocrate.
Quand ils sont venus chercher les syndicalistes, je n’ai rien dit, je n’étais pas syndicaliste.
Quand ils sont venus me chercher, il ne restait plus personne pour protester.
Donc, oui, si vous n’avez pas un peu de décence pour défendre les droits des autres juste parce que ce n’est pas bien, peut-être que vous pourriez le faire pour vous ? On se rappelle : quand vous vivez, vous faites de la politique. Quand vous décidez de défendre ou non une personne, vous faites de la politique, car vous influencez ce qui se passe dans la société.
Les artistes et la politique, un jeu d’hier ou d’aujourd’hui ?
Et on en vient à cette question : un artiste doit-il juste faire son art et se taire ? C’est ce que réclament certaines personnes (en général, quand ils ne sont pas d’accord avec l’artiste, d’ailleurs. Sinon, ça les dérange beaucoup moins).
(on pourrait aussi parler de « faut-il séparer l’homme ou la femme de l’artiste ? ». Ce sera un débat pour une autre fois. Ou pas.)
Déjà, il faut se rappeler que, de tout temps, l’art et la politique ont été intimement liés. Sur le site L’histoire par l’image, il est dit, avec plein d’exemples, « Gouverner, c’est se mettre en scène pour asseoir son autorité, sa légitimité et son prestige. L’art au service des commanditaires mécènes devient alors un instrument de propagande. »
De nombreux mouvements artistiques sont éminemment politiques (comme le surréalisme, le dadaïsme, l’art conceptuel, et bien d’autres). On ne compte plus les artistes qui ont utilisé leurs œuvres pour faire passer un message, que ce soit dans la peinture, le cinéma, la littérature ? Vous croyez vraiment que Ne tirez pas sur l’oiseau moqueur n’a pas un message à faire passer ? Et puisque l’on parle d’oiseaux moqueurs, même Hunger Games dit quelque chose de la société. Peut-être de manière moins manifeste, mais c’est quand même bien là.
Même une romance passe un message, selon ce qu’elle laisse voir des relations entre les gens. La politique, ce n’est pas juste être de gauche ou de droite, on se note bien ça dans un coin de la tête (oui, une tête est ronde, il n’y a pas de coin, mais faites un effort).
Il faudrait juste laisser parler les œuvres
Ce que l’on reproche à l’heure actuelle à certains artistes, c’est de ne plus se contenter de laisser les gens lire entre les lignes dans leurs œuvres, mais d’exprimer haut et fort leurs opinions. Et de profiter de la liberté de leurs réseaux sociaux pour le faire.
Parce que certaines personnes préféreraient peut-être ne pas savoir que leur artiste préféré·e a des idées qui ne sont pas les mêmes que les siennes ? Ou selon un vieil enseignement désuet qui voudrait faire croire que seules certaines personnes ont le droit de parler, mais pas les autres ? J’avoue que je n’ai pas tranché sur ce sujet.
Personnellement, je préfère savoir que telle autrice promeut des thèses transphobes, de cette manière, je ne contribuerai plus à sa fortune personnelle (et, par conséquent, à lui donner les moyens de soutenir ses idées). C’est aussi pour cette raison que ça fait longtemps que j’ai quitté Twitter (oui, quand on cautionne quelqu’un qui dépense son argent ou sa renommée dans des thèses puantes, on devient soi-même financeur de ces causes. A vous de voir où vous préférez placer votre argent).
D’autres diront « oh, mais j’ai juste envie de passer un bon moment, pas de réfléchir à tout ça ». Très bien. Personne ne t’y oblige. Sauf que si tu veux empêcher ceux qui ont envie de le faire de réfléchir, et de s’exprimer sur ce sujet, ça devient de la dictature. Chacun, artiste ou non, a le droit a la liberté d’expression (dans le respect de la loi, évidemment. Pour le moment, la loi protège encore pas mal de personnes, heureusement).
Ne rien dire, est-ce vraiment se taire ?
Vous vous rappelez, je vous avais promis de revenir sur le thème de ceux qui ne prennent pas position. Vous avez tous et toutes entendu un jour cette phrase « qui ne dit mot, consent ».
Je comprends tout à fait que tout le monde n’aie pas envie de prendre position. Parce que cela signifie aussi s’exposer à des choses ou des propos pas toujours très agréables. Pour certains, c’est de la paresse. Pour d’autres de la peur. Pour d’autres encore des raisons économiques (par crainte de perdre leur public).
Malheureusement, à l’heure actuelle, notre société se durcit. Et je pense de plus en plus que ne pas dire ce que l’on pense, c’est dangereux. Parce que cela pourrait laisser croire que l’on cautionne ce qu’il se passe.
Or, en tant qu’artiste, on a aussi un pouvoir. Un petit pouvoir, mais il est là aussi. Et il faut être attentif à ce que l’on en fait.
Non, on ne peut pas prendre position tout le temps. Ce serait épuisant pour tout le monde.
Mais dire, de temps en temps : « là, ça va trop loin, et je ne suis pas d’accord avec ça », ce n’est pas mal non plus.
Et vous, vous en pensez quoi ?