L’auto-édition se professionnalise de plus en plus. C’est un fait. Et pourtant, on voit encore trop souvent passer des messages qui disent « oui, mais bon, en vrai les livres sont moins bien que s’ils étaient passés chez un éditeur, ça reste un truc d’amateurs, quoi ». Et là, vous savez ce que j’ai envie de répondre ?
Fake News.
Et je vais vous démontrer pourquoi.
Comment le monde professionnel change… pour les auteurs aussi
Il y a quelques années, pas très loin dans le temps, un homme politique disait « je veux que tous les Français puissent devenir leur propre patron ». Que l’on soit d’accord ou pas avec ses propos, il faut bien être conscient que le monde du travail évolue. D’un côté, l’ubérisation de certains corps de métier inquiète, de l’autre le télétravail ne cesse de progresser, de même que le nombre de freelances.
La société se réorganise, à plein d’échelles différentes. Aujourd’hui, il n’est plus indispensable d’avoir un patron pour pouvoir travailler, l’on peut proposer ses services, ses talents, ses compétences, de manière individuelle. Ce sera le cas des graphistes, des consultants, des secrétaires, des formateurs… Certes, cela implique une prise de risques plus grande. Et une manière de travailler qui est peut-être différente, plus consciente de certains enjeux. Mais c’est une possibilité vers laquelle de plus en plus de personnes se tournent.
Et c’est aussi le cas dans le milieu culturel, et donc dans celui du livre. Avant, un auteur avait besoin d’un éditeur pour pouvoir aller à la rencontre de ses lecteurs. Aujourd’hui, ce n’est plus nécessairement le cas. Ce qui inquiète bon nombre de professionnels du secteur. Des professionnels qui affirment parfois, haut et fort, qu’eux savent faire et pas les autres. Ce qui n’est pas (plus) vrai.
Où l’on prouve que les éditeurs ne sont pas toujours indispensables
Quels sont les services qu’apporte un éditeur à un auteur ou à une autrice ?
Il va l’aider à retravailler son texte, en lui apportant un regard extérieur, son expertise, ses conseils dépourvus d’émotions parasites pour aller toujours vers le meilleur du roman.
(De plus en plus d’auteurs indépendants font appel à des correcteurs et à des bêta lecteurs extérieurs pour les aider à prendre du recul sur leur roman. Pas leurs amis, leurs voisins ou leurs cousins. Non, des personnes qui n’ont aucune raison d’être tendres avec eux, qui sont avant tout des lecteurs, et qui ont donc des avis très tranchés sur la question. Des personnes, donc, qui pourraient très bien travailler dans l’édition elles aussi, parce qu’un éditeur est avant tout un lecteur, comme eux)
Il va trouver le meilleur moyen de mettre en valeur le texte, avec une mise en page intérieure de qualité et une superbe couverture.
(Aujourd’hui, les auteurs indépendants peuvent faire appel à des graphistes pour réaliser cette tâche. Selon le budget dont ils disposent, le travail sera plus ou moins poussé. Des spécialistes se concentrent maintenant sur les maquettes, pour le papier comme pour le numérique.)
Il va lui permettre de participer à des salons littéraires et à des dédicaces pour aller à la rencontre de ses lecteurs.
(Les auteurs peuvent très bien effectuer ces démarches eux-mêmes. Tous les libraires n’acceptent pas les auteurs indépendants, ni tous les salons. Mais ces derniers sont quand même de plus en plus présents, et les lecteurs commencent à le savoir, et à l’apprécier).
Il dispose d’un réseau de distribution et de diffusion qui lui permet d’être présent dans de nombreuses libraires.
(Ce qui est, certes, un peu plus difficile pour les auteurs indépendants. Sauf que… Combien de petites maisons d’édition ne sont en réalité pas présentes sur les tables des libraires, ou juste avec un titre caché dans un coin ? Aujourd’hui, de nombreux auteurs indépendants vendent mieux leurs titres tout seuls que certaines maisons d’édition. Ce qui n’enlève rien à leur travail et à leur ferveur pour défendre les livres.)
Il a un service de communication plus efficace.
(oui, enfin s’il décide de l’utiliser pour présenter réellement le titre. Combien de maisons d’édition investissent avant tout sur leurs auteurs phares et ne font pas d’efforts de promotion pour les autres ? Un auteur indépendant va devoir se défendre tout seul, mais au moins il sait qu’il ne sera jamais la cinquième roue du carrosse de quelqu’un d’autre).
Les auteurs indépendants sont autant des pros que les éditeurs alors ?
Surprise : oui. Peut-être pas tous au même niveau. Oui, il y a toujours des auto-édités qui auront des couvertures qui font mal aux yeux et des fautes d’orthographe tous les paragraphes, ainsi que des histoires bancales. Mais on a tous vu aussi des titres pitoyables chez certains grands éditeurs, donc ce critère de qualité n’est plus vraiment valable.
Surtout parce que de plus en plus d’auteurs indépendants se professionnalisent, font appel à des prestataires extérieurs pour les aspects de leur travail qu’ils maîtrisent moins. On est là face à une démarche professionnelle, comme tout indépendant qui se respecte. Et qui devrait, donc, être respecté par les autres aussi.
Il n’existe pas de label de bon goût qui permettrait de dire qu’un éditeur a plus raison que d’autres lecteurs. Surtout quand ils sont nombreux. Rappelez-vous : de un, c’est de l’art, donc c’est forcément subjectif. De l’autre, ce n’est pas toujours l’éditeur qui va lire le manuscrit d’un auteur et le refuser au départ. C’est peut-être un stagiaire qui est au comité de lecture pour l’été. Si le travail est fait, et bien fait, alors le roman d’un auteur indépendant a autant de valeur que celui d’un éditeur.
Pourrait-on tous se passer des éditeurs, alors ?
Tout le monde ne serait pas d’accord sur cette question. Mais je ne pense pas que tout le monde peut être auteur indépendant. De même que tout le monde ne peut pas être son propre patron. Certains auront besoin d’être plus encadrés, d’autres n’auront pas le budget, l’énergie ou juste l’envie d’endosser les multiples casquettes d’un indépendant.
Passer par un éditeur, c’est plus confortable. Et c’est agréable aussi d’être pris en main par quelqu’un qui va vous dire « contente-toi d’écrire, mon grand, je me charge du reste ».
Parfois, aussi, il y a la conscience qu’une autre personne saura mieux donner toutes ses chances et toute sa puissance à un titre qu’on n’est capable de le faire soi-même.
C’est pour cela aussi que j’alterne, personnellement, entre l’édition dite traditionnelle et l’édition indépendante. Parce que, si j’aime pouvoir tout décider et prendre en main les choses de mon côté, ça me fait aussi du bien, parfois, de souffler et de laisser les rênes à d’autres personnes. Car c’est épuisant (tout autant qu’exaltant) d’être indépendant.
Mais je n’estime pas pour autant que mes titres chez les éditeurs ont plus de valeur que ceux que je publie moi-même. C’est juste une autre manière de déléguer, de faire confiance. Une relation professionnelle différente.
Et c’est bien cela qu’il faut se dire : un auteur n’est pas juste un artiste déconnecté du monde réel. De plus en plus, c’est également un professionnel. Indépendant ou non, mais un professionnel.