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Pourquoi l’auto-édition, c’est le mal

L’autre jour, lors d’une signature, un lecteur potentiel a pris en main un de mes livres, a cherché le nom de la maison d’édition, puis l’a reposé rapidement, sans doute de crainte d’être contaminé, en se rendant compte que « oh, mais c’est de l’auto-édition ».
J’ai sans doute beaucoup de chance, car cela ne m’était jamais arrivé auparavant.
Néanmoins, sa réaction m’a poussé à me poser quelques questions. Pourquoi certains considèrent que l’auto-édition est la pire chose qui puisse arriver à l’édition alors que ce n’est pas le cas pour les autres arts ?
Petit tour d’horizon…
l'auto édition c'est le mal

Comment le cinéma indépendant a fait les beaux jours des salles obscures

Je ne suis pas qu’une autrice, je suis aussi une fille. Et, j’avoue, en tant que telle, je dois faire mon Dirty Dancing Coming-Out : oui, je connais toutes les chansons par cœur, et un certain nombre de répliques aussi. Et oui, je le regarde au moins une fois par an.
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Pourtant, ce que la plupart des gens oublient, c’est que ce film, au départ, était un petit film indépendant auquel personne ne croyait et qui est sorti dans quelques salles seulement. Si, si, c’est vrai !
Mais des gens sont allés le voir. Suffisamment nombreux pour que Dirty Dancing connaisse le succès que l’on connaît.
Aujourd’hui, le cinéma indépendant ne se porte plus si bien que cela. Et les distributeurs comme les salles de cinéma sont mises en cause dans ce phénomène. On leur reproche de ne plus laisser assez de place aux petites productions.
Parce qu’il est de bon ton d’avoir vu un film sélectionné à Sundance (festival américain du cinéma indépendant) et plutôt culturellement flatteur de s’être rendu dans un cinéma d’art et d’essai pour découvrir un film « d’auteur ».
On peut donc en déduire que : le cinéma indépendant, c’est un procédé culturel qui doit être mieux défendu, et que l’ont fait partie de l’élite en appréciant ces films…
Suite de la démonstration…

Écouter de la musique indie, c’est bien ?

Il y a les stations de radio qui diffusent les mêmes titres que toutes les autres. En boucle. Au point de parfois nous saturer.
Et puis il y a celles qui proposent des titres un peu moins connus, mais intéressants, rafraîchissants, bien construits…
Il y a les artistes qui jouent dans des petits festivals, qui font la tournée des scènes qui veulent bien d’eux, qui ont même des fans qui les suivent et les retrouvent d’un concert à l’autre, qui vendent quelques CD comme ils le peuvent.
Et tout le monde admire leur travail. S’ils ont de la chance, ils pourront même être repérés, présentés dans les médias… puis être rachetés par un grand producteur qui leur donnera accès à ce graal tant convoité : la gloire !
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Être musicien ou chanteur indé, c’est compliqué. Il faut accepter de manger des micros enragés et de balancer du son parfois pas si terrible quand on n’a pas les moyens de s’acheter du bon matériel.
Et pourtant, nombre de personnes vont se vanter d’avoir découvert tel artiste et d’avoir son CD, pour enfin sortir des standards uniformisés, de la soupe qui est versée à grandes louches tous les jours à la télé…
Oui, soutenir des groupes indie, c’est plutôt valorisant aussi.

Et dans les autres arts, ça se passe comment ?

Je ne vais pas vous mentir, je ne suis pas une spécialiste de la sculpture, de la danse ou des arts du cirque… J’ai cependant pu constater que des tableaux pouvaient être achetés en-dehors des galeries traditionnelles, que les marchés de noël accueillaient de nombreux artisans dont le travail était admiré, que des villes sont heureuses d’accueillir des troupes de théâtre venues d’ailleurs…
Je ne dis pas que c’est facile pour tout le monde, loin de là. Ils doivent très certainement endurer leur part de critiques, de mauvaises considérations, voire de mépris. Mais j’ai plus souvent entendu dire « tiens, j’ai découvert tel chanteur ou tel fabricant de bijou » que « tu devrais lire ce roman d’un auteur indé ». Pourquoi ?

Pourquoi existe-t-il, en France, un tel mépris pour les auteurs indépendants ?

Avant de dire qu’un mépris existe, il faut le démontrer. Et ce n’est pas juste un livre reposé sur une table parce qu’il n’a pas d’éditeur. C’est aussi les librairies (pas toutes, heureusement) qui vous regardent de haut, limite avec un sourire en coin, et qui ne s’enthousiasment pas à l’idée de présenter vos livres. (et j’en profite pour remercier ici toutes celles qui sont plus ouvertes). Ce sont les salons littéraires, qui refusent les auteurs indépendants, parfois sans explication, parfois en précisant qu’ils pensent qu’un filtre éditorial est indispensable à une production littéraire digne de ce nom. C’est la différence que font certains entre « ah tu as un éditeur » et « ah, donc c’est toi qui as payé ». Ce sont les médias, qui sont nettement moins ouverts aux auteurs auto-édités qu’aux autres (je sais bien que c’est aussi le cas pour les autres arts, hélas).
En France, plus particulièrement, nous avons une tradition littéraire très présente, qui laisse entendre qu’un auteur sans éditeur sera certainement moins bon. Je vais vous dire une vérité : ce n’est pas toujours le cas.
J’ai lu de très bons livres d’indés et de très mauvais livres édités. Et je ne suis certainement pas la seule.
Ce qui ne m’a pas empêché d’entendre certains auteurs, pourtant indés dire :
1. qu’ils ne se sentaient pas légitimes en tant qu’auteurs (ça c’est normal, et c’est le lot de nombreux artistes, même renommés)
2. qu’ils hésitaient longuement avant d’acheter un livre auto-édité parce qu’ils craignaient qu’il n’en vaille pas la peine (je vous vous confier un secret : c’est le cas aussi pour les livres publiés).
Ce qui n’empêche pas non plus certains salons littéraires de fermer leurs portes aux auteurs auto-édités… Ont-ils peur de dégrader leur image de marque ?

Comment reconnaître la qualité d’un titre auto-édité ?

Ce qui permet de savoir ce que vaut un ouvrage, ce sont les commentaires des lecteurs. Alors, oui, il y aura toujours des centaines de lecteurs qui achèteront les mêmes livres que vous, vous ne trouvez pas si terribles que cela.
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Mais il y aura aussi ceux qui émettront des critiques honnêtes envers les titres, sans établir de distinction entre ceux qui bénéficient d’une très chaude couverture médiatique et les autres.
Ce n’est pas toujours évident de se lancer les yeux fermés, je le conçois. Mais entre un roman auto-édité qui récolte tous les éloges et un autre qui culmine à deux étoiles sur cinq dans ses critiques, vous pouvez déjà avoir quelques repères. De même par rapport à l’éventuel nombre de publications de son auteur (s’il en a 80 à son actif, c’est presque plus inquiétant que s’il n’a qu’un titre à proposer).
Lisez les commentaires, que ce soit sur les forums de lecteurs, les blogs, les booktubeurs, les critiques sur les sites d’achat…
C’est aussi pour cette raison que je précise toujours, à la fin de mes romans, qu’il est nécessaire de faire savoir quand vous avez aimé un livre. Parce que c’est le seul moyen, pour une autrice indépendante, de faire savoir si, oui ou non, ce qu’elle écrit a de la valeur.
La qualité se mesure en étoiles dans les yeux des lecteurs.
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Comment faire évoluer le paysage éditorial

J’ai été (agréablement) surprise de constater le nombre de plus en plus élevés d’artistes, dans tous les domaines, qui décident de devenir indépendants. Dans le monde du lire, cela s’exprime principalement au niveau de la bande dessinée, d’ailleurs, comme Maliki l’a très bien résumé ici.
Pourtant, cela reste difficile. Quand une lectrice me dit qu’elle n’a pas pu commander mon ouvrage dans une librairie, parce que le libraire, sans même essayer, lui a dit qu’il craignait de ne pas pouvoir se le procurer, je trouve cette attitude totalement contre-productive.
Je n’ai pas envie de n’être vendue que sur Amazon, j’aime les libraires indépendants et j’ai envie de les faire vivre. Mais c’est un amour qui ne doit pas rester platonique, à sens unique. Nous avons besoin les uns des autres pour vivre.
Je sais, je suis pertinemment consciente que des dizaines de titres sortent chaque mois, rien que dans le circuit classique, et que c’est une gageure de pouvoir tous les présenter. Que c’est déjà presque impossible de savoir qu’ils existent. C’est aussi à nous, en tant qu’auteur, d’aller à la rencontre des professionnels vendeurs du secteur.
Mais cette rencontre ne pourra être constructive que si, en face, les acheteurs sont prêts à sortir de leur zone de confort.
Il existe tellement de véritables artistes, talentueux et généreux, que je trouve vraiment dommage de se limiter toujours aux mêmes.
Il faut donc que :

  • les libraires acceptent de présenter des titres d’auteurs indés
  • les médias acceptent de parler d’eux
  • les lecteurs aient envie de les lire

Cette révolution est déjà en marche. Elle demande juste à prendre un peu plus d’ampleur, et ce ne pourra se faire qu’avec vous !
 

Et si, finalement, l’auto-édition, c’était bien ?

 

0 réflexion au sujet de “Pourquoi l’auto-édition, c’est le mal”

  1. Merci pour cet article très intéressant !
    Après, je pense qu’une différence fondamentale avec la musique et le cinéma c’est que le travail de l’auteur est beaucoup plus solitaire, alors qu’en ciné, tu bosses forcément avec une équipe, donc pour motiver des gens à rejoindre ton projet, il faut bien qu’il ait des qualités à la base.
    Pour la musique, tu le dis toi-même, ce sont des *radios* qui choisissent de passer de la musique indé, et donc de la faire connaître auprès du grand public, ou encore des festivals.
    Au final, même si ça ne passe pas par le circuit traditionnel du producteur, il y a quand même des intermédiaires entre les auteurs de musique et ciné et les consommateurs.
    Alors que l’intermédiaire, pour la littérature, c’est les plateformes de vente, qui, on le sait, n’effectue aucun tri. D’où cette difficulté supplémentaire à choisir pour le lecteur, qui se retrouve submergé par une avalanche de titres de qualité très diverse.
    Mais oui, on pourrait se dire que c’est le rôle des salons et autres festivals de littérature de jouer l’intermédiaire et de faire découvrir des œuvres au grand public, et pour le moment, ils sont complètement à la ramasse là-dessus.

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