Ma première réponse à « pourquoi des héros en fauteuil roulant » c’est : et pourquoi pas ? Non, réellement, qui a dit que les héros devaient forcément être beaux, riches et musclés pour attirer les foules ? Ah oui, peut-être l’éditeur qui m’a dit, quand je lui ai fait lire le manuscrit de De l’autre côté des mondes : « personne ne va s’intéresser à un groupe de personnages. Et encore moins s’ils sont en fauteuil roulant ».
Comment on choisit ses personnages
Dans certains cas, on choisit ses personnages. On décide qu’ils auront telle apparence, tel caractère, qu’ils raffolent du chewing-gum et qu’ils détestent la cannelle… Parfois, ce sont eux qui nous choisissent. J’avoue que c’est souvent le cas pour moi.
Je ne me dis pas, avant d’écrire : tiens, je vais montrer un homme noir, histoire de rajouter un peu de diversité dans mon histoire. Les personnages s’imposent à moi, ils apparaissent, je les décris comme je les vois, j’apprends à les connaître et à détailler leurs caractères, leurs goûts. Pour moi, ils sont réellement vivants et, d’ailleurs, parfois leurs actes me surprennent.
Mais ça, c’est parce que j’écris sans plan…
Alors pourquoi des fauteuils roulants dans mon roman
C’est une question qui revient souvent. Ainsi que la suivante « mais vous avez des personnes handicapées dans votre entourage proche ? ». En réalité, non. Mais je n’ai pas non plus découvert de faille pour voyager dans un monde parallèle. C’est ça, être auteur : être capable d’interroger le réel, de le transcender et d’imaginer des choses que l’on n’a pas vécues.
Un peu de documentation ne fait jamais de mal, cela dit !
Cette histoire, j’en ai tracé les premiers mots il y a bientôt vingt ans. Et, dès le début, mes personnages étaient handicapés. Je trouvais ça intéressant de me demander comment on pouvait sentir jusque dans sa chair le malaise de l’adolescence, l’impression d’être différent, seul… et passer ensuite dans un monde différent où tout devient possible.
Le rejet, la différence, ce sont là des thèmes qui me parlent et me touchent profondément. Et il faut bien reconnaître que le monde public, l’environnement scolaire, n’est pas toujours très tendre, ni très facilitateur dès qu’il y a un handicap.
Est-ce que le handicap est tout ce qui caractérise mes personnages ?
Pendant un certain temps, quand je présentais mon roman, je n’insistais pas sur le fait que les personnages étaient en fauteuil roulant. Pour moi, il s’agissait simplement de jeunes, certes un peu fragiles mais comme beaucoup d’entre eux, qui voyageaient vers un autre univers et y vivaient de nombreuses aventures.
Puis, d’autres personnes m’ont fait remarquer que c’était une caractéristique forte du roman. Les personnages tétraplégiques ne sont pas les plus nombreux en littérature fantastique. Et certains considéraient cela comme novateur, comme un souffle d’air frais. Une manière de dire « hé ho, tout le monde peut vivre des aventures. Même des handicapés. »
C’était, et ça reste, important pour moi que ce ne soit pas la seule chose qui les détermine. Mes personnages ont des caractères bien distincts, des sensibilités qui leur sont propres, ils sont tous différents. Le handicap n’est pas ce qui les résume !
Pourquoi les choses changent quand ils découvrent ce monde parallèle
Aujourd’hui, si je devais réécrire ce roman, peut-être que mes personnages emmèneraient leurs fauteuils avec eux dans le monde parallèle.
Mais la différence entre les deux univers pousse aussi mes héros à mieux se découvrir. Ils comprennent de nombreuses choses sur eux-mêmes et sur leurs forces justement parce qu’ils ont l’occasion de découvrir ce qu’ils pourraient faire s’ils n’étaient plus sanglés sur un fauteuil et dépendant de lui.
Et ce contraste est un des moteurs du roman.
Est-ce que c’est important d’avoir des personnages « différents » ?
Je crois que tous les personnages ont des failles, plus ou moins importantes. C’est cela aussi qui nous permet de nous intéresser à eux.
Je crois aussi que les romans transmettent des messages. Oui, s’il faut des romans avec des personnages féminins forts, avec des héros de couleurs diverses, avec des étrangers, des handicapés, des homosexuels… pour que le monde arrête de les regarder de travers, c’est important d’en écrire.
Il ne faut pas oublier que l’on se construit avec les livres, et que l’on construit aussi son empathie grâce à eux.
À ce sujet, je vous invite à lire le très bon article de Jo Ann von Haff : comment ajouter de la diversité dans ses romans.
Est-ce que ça veut dire que je choisirai délibérément de placer ce type de personnages dans mes prochains livres ? Je ne sais pas. Parce que les personnages décident eux-mêmes, d’une part, et aussi parce qu’il ne faut pas qu’un tel procédé semble ampoulé, mal venu, sans raison d’être.
Mais… même si je ne fais pas de la littérature militante, le message que je transmets avec mes livres est important pour moi. Et, pour tout vous dire, comme je me sens de plus en plus concernée par ces sujets, il est fort possible que l’information circule au sein des personnages en attente d’auteurs et que quelques-uns viennent me voir. Ou se soient déjà introduits dans mes prochains romans.
J’aurais une question pour vous, sur ce sujet : quel type de personnage regrettez-vous de ne pas voir plus souvent dans les romans ?
Cet article a pu être écrit grâce aux Tipeurs :
Lameecarlate – Rodolphe