J’ai eu l’occasion d’assister à une table ronde avec Valentine Goby et Charlotte Bousquet. Une rencontre très intéressante dont voici la retranscription (forcément partielle tant les échanges étaient riches). Elles y parlent de la création, de leur position en tant que femme et de la littérature jeunesse.
Comment choisissez-vous vos sujets de romans ?
Valentine Goby : « Depuis mes deux premiers romans, j’écris beaucoup avec l’Histoire en toile de fond, et toujours avec des personnages réels. j’essaye de les rencontrer physiquement quand je peux. Quand il n’y a pas de documents, il faut des témoignages, de la parole. Il existe une histoire collective sur laquelle le scénario de mes personnages vient s’adosser.
Il y a plein de façons de rencontrer les gens, c’est souvent imprévu d’ailleurs.
On ne décide pas d’entrer dans un sujet, ça correspond à une recherche personnelle, c’est aussi une rencontre avec soi.
Charlotte Bousquet « Le travail varie pour chaque roman. C’est rarement des rencontres physiques, plutôt avec des journaux, des thèses, des obsessions du moment.
Je suis très timide, alors je ne vais pas nécessairement à la rencontre des gens. Par contre je lis beaucoup, des essais, des textes sur Gallica.
Le rapport à l’autre et la différence sont des thèmes qui me suivent depuis ma thèse, de même que la manière dont on peut basculer dans la violence. Qu’est-ce qui fait qu’on accepte l’inacceptable ou au contraire qu’on se rebelle ?
Plus j’apprivoise l’écriture, plus j’acquiers de la confiance en moi, plus je me lâche. J’arrive à livrer des choses personnelles maintenant dans mes livres.
Notre matière première, c’est aussi nous-mêmes, y compris nos parts d’ombre.
C’est aussi ce qui rend nos personnages authentiques. Quand j’écris, j’essaie de me mettre dans la peau de mes personnages, de suivre leur logique, pas la mienne. »
Valentine Goby « Je considère l’écriture comme de l’archéologie intime. Le fait d’aller vers l’autre soulève des strates que l’on avait oubliées. Pour moi, c’est la matière même de la littérature. Je découvre que l’autre est en moi, je m’agrandis par l’écriture.
Les personnages me disent des choses de moi, qui me raccordent à une humanité plus vaste. Ca me donne plein d’énergie, je suis pleine de possibles non réalisés. Ca me donne aussi d’autres appartenances.
A travers l’écriture, je traverse des expériences que je ne vivrai jamais, mais qui réveillent des choses en moi, comme chez les lecteurs.
La lecture est d’ailleurs un travail de co-écriture.
La littérature crée des terrains où nous pouvons nous rencontrer, comme jamais dans la vie réelle. »
Vous vous revendiquez en tant qu’autrice. Etes-vous féministes ?
Charlotte Bousquet « je suis féministe, pas « du féminin ». Je m’attache à la liberté de choisir son genre.
Qu’est-ce que l’on en a à faire du sexe de l’écriture ? Par contre, auprès de certains éditeurs, en tant qu’homme, on a moins de mal à défendre ses droits. »
Valentine Goby « c’est compliqué le mot féministe. J’aime bien le mot « égalitariste » et l’idée que ce n’est plus intéressant de faire une différence.
Je ne veux pas avoir à justifier d’une voix féminine. Je n’ai pas envie de soumettre la littérature à quoi que ce soit d’autre que mes propres envies. Je n’écris pas pour dénoncer, mais je suis une femme, donc ça nourrit mon travail. »
Vos personnages vivent souvent des trajectoires personnelles, mais aussi des déplacements physiques…
Valentine Goby « Quand on quitte, quelque chose ou quelqu’un, on se métamorphose. On accomplit ce qui fait notre singularité.
La vie est une somme d’expériences terrifiantes. Qu’est-ce qui fait que certains tiennent debout malgré les tragédies, comment on s’en nourrit… ?
S’il y a une raison fondamentale pour écrire, c’est pour vivre plutôt que pour mourir.
Cette question de savoir pourquoi on reste debout, on la retrouve dans les déplacements, le mouvement, la rencontre de l’autre. »
Charlotte Bousquet « Mes personnages ont besoin de s’accomplir. Le côté nomade et l’errance rejoignent mon goût pour les grands espaces. J’aime bien qu’on me foute la paix !
L’écriture peut être considérée comme une manière de partir et de revenir. On part avec ses failles, on grandit et on apprend des choses en écrivant, puis on revient. »
Que pensez-vous de la littérature Young Adult ?
Charlotte Bousquet « La littérature Young Adult, c’est d’abord du marketing américain pour vendre des romans aux 15 – 30 ans. C’est un peu plus rock’n’roll, plus violent parfois. C’est une littérature qui permet de dépasser certains problèmes. On peut y aborder tous les sujets et c’est un espace de grande liberté.
Le côté marketing a depuis été complètement dépassé par le côté création ».
Valentine Goby « c’est un fléchage fait par les éditeurs. Pour certains d’entre eux, les romans jeunesses ne sont pas des vrais romans. D’où des a-valoir moins importants, des droits d’auteur divisés par deux, une déconsidération de la presse…
Ce que nous faisons est un métier d’art et de création qui mérite la même considération que la littérature adulte. »
Charlotte Bousquet vient de sortir le roman graphique Barricade et deux nouveaux romans devraient voir le jour chez Mnémos en mai, et dans une nouvelle collection chez Gulf Stream.
Valentine Goby travaille sur un roman adulte et des romans courts jeunesse en parallèle.