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L’art peut-il changer le monde ?

Je suis une révoltée

J’étais une enfant sage, pourtant. J’écoutais ce qu’on me disait et je le respectais. Mais tout a commencé à vriller quand on m’a dit « finis ton assiette, pense aux pauvres enfants qui meurent de faim ».

Oui, c’était une remarque classique dans mon enfance. Je n’ai jamais trop compris en quoi le fait que je mange allait aider ces enfants, mais j’ai pensé, vraiment, longtemps, à ces pauvres enfants. J’avais de la peine pour eux. Et j’ai intégré que le fait de gâcher de la nourriture, c’était ajouter une insulte à une situation qui était déjà anormale et horrible. J’étais une enfant sensible, ça a marqué mon éducation.

Il faut toujours faire attention à ce qu’on dit aux enfants.

C’est peut-être pour ça que j’écris surtout pour eux.

La révolte à l’adolescence, ça s’exprime timidement parfois

J’étais aussi timide, renfermée, maladroite, mal à l’aise, extrêmement sage…

Mais je lisais beaucoup, déjà. Et lire, ça développe l’empathie. Quand on passe sa vie à se mettre à la place des autres, on ne sait plus trop s’arrêter.

Alors, à 11 ans, je faisais le tour de mon village pour faire signer une pétition afin qu’on arrête le massacre des dauphins par des pêcheurs de je ne sais plus où.

À 12 ans, après avoir lu Anne Frank à l’école, je me disputais avec des membres de ma famille car je ne comprenais pas qu’on puisse avoir vécu la Seconde Guerre mondiale et être raciste. On me disait « tais-toi, Mélanie, les adultes savent, toi tu n’es qu’une enfant » (et c’est là où je me dis que le dernier opus de Clémentine Beauvais, qui propose de donner le droit de vote aux enfants, a peut-être un certain sens)

À 13 ans, je me fabriquais un badge avec une épingle à nourrice et un bout de papier dessiné par mes soins, pour dire que le tabac tuait des gens et qu’il fallait arrêter de fumer.

A 16 ans, j’arborais un ruban rouge sur ma veste (on était en 1994, des gens se faisaient rejeter à cause du sida, c’était inconcevable pour moi. Je crois que j’étais la seule du lycée à en porter un).

J’étais une révoltée depuis l’enfance. Mes combats étaient inégaux, pas toujours bien choisis, peut-être, mais il y avait déjà un fil rouge : penser aux autres. Penser à ce qu’ils peuvent ressentir. Même si c’était loin de moi et de mon quotidien.

La révolte au début de l’âge adulte, ça donne quoi ?

À 18 ans, mon premier stage en entreprise, je l’ai effectué à Solidarité Enfant Sida. Là, comme ça commençait à se voir que j’avais un truc avec l’écriture, on m’a demandé de rédiger le portrait d’une personne suivie sur place. Une mère, qui avait connu la drogue, les vols pour s’en procurer, la prostitution, et qui maintenant voulait juste que sa fille puisse s’en sortir. Elles étaient malades toutes les deux. Je ne comprenais pas les gens qui me disaient « oui, mais peut-être que c’est sa faute, quand même ».

À 20 ans, je prenais régulièrement le train entre la Belgique et la France. En tant que jeune femme blanche, j’étais rarement contrôlée. Voire jamais. Ce n’était pas le cas de tout le monde. Quand je m’en suis offusquée, on m’a dit que j’avais tort, qu’il y avait une raison si certaines personnes étaient plus souvent contrôlées. Parce qu’on savait bien qui était les plus mauvais dans tout ça. Que j’étais naïve de croire le contraire, que je ne connaissais rien à la vie. Et que me mettre à leur place et imaginer ce que ces personnes devaient ressentir au quotidien prouvait bien mon manque de compréhension du monde.

Je n’étais toujours pas d’accord, mais je n’avais pas l’énergie de me battre au-delà de mon cercle proche pour défendre mes opinions.

Alors, j’ai mis ça dans des livres. Oh, pas dans des leçons de morale. Mais dans des histoires où ceux que l’on croit méchants ne le sont pas toujours. C’était ma manière de faire passer le message.

Un livre a toujours quelque chose à nous dire

Et maintenant ?

Aujourd’hui, j’ai plus de 40 ans. Je me rapproche de plus en plus des cinquante. Je crois que l’on peut raisonnablement dire que je ne suis plus une enfant. Je ne suis pas non plus devenue une activiste, ou une militante. Je n’ai pas assez d’énergie en moi pour ça. Je le regrette souvent.

Je continue juste à essayer d’améliorer le monde par petites doses, avec ce que je mets dans mes romans. Pas en donnant des leçons. Juste en racontant des histoires. Et peut-être que le message passe, parfois.

Mais ça ne m’empêche pas d’être une révoltée. Une écorchée vive. Qui ne comprend pas comment tant de personnes peuvent souffrir et encore plus de personnes ne pas le voir. Comment des gens peuvent ne pas avoir peur du climat qui fout le camp, des enfants maltraités, des guerres, des violences diverses de la société. Comment on peut tranquillement dire « les minorités » en parlant d’autres personnes, et donc considérer qu’elles valent moins que nous.

Je suis incapable de me protéger en ne regardant plus les infos, comme certain•es le font. Parce que ce serait terriblement égoïste de ma part, et que je ne sais pas être égoïste. Détourner le regard, non, ce n’est pas moi.

Alors, oui, la plupart du temps j’encaisse parce que je sais que je vais me fatiguer pour rien. Puis parfois j’explose et, pour certains, je deviens une personne casse-pieds, moralisatrice, wokiste aussi (vous avez remarqué que ce mot est toujours utilisé pour critiquer ceux qui dérangent? ), mais aussi et toujours naïve et déconnectée de la réalité.

(un article qui réfléchit un peu à ce qui se cache derrière l’utilisation du mot wokisme à lire ici )

Et peu importe si, depuis mon enfance, je me suis documentée et que j’en sais plus sur certains sujets que d’autres personnes qui se contentent des gros titres qui leur sont servis. Je comprends, c’est dur d’accepter que l’on se trompe et de chercher à se renseigner. Ou de tenter de comprendre ce que d’autres peuvent ressentir.

Je continue donc à croire, ou à espérer, que c’est aussi à ça que sert la littérature. À raconter des histoires, bien sûr, parce que le plaisir est là avant tout. Mais aussi à apprendre aux autres, et à leur faire ressentir un peu plus que ce qu’ils connaissent.

Et peut-être qu’un jour, l’art sauvera le monde…

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